Pêcheurs lébous (1999)

 

Bassirou Sidy N’diaye dit Bass (1965-2004) ; Pêcheurs lébous (1999) ; Fixé sous verre, sable, encre de Chine ; Long totale: 38 cm larg: 31 cm ; Dakar, Sénégal ; Don de Monique Camus en 2017 ; MNHN-E-2017.12.2

 

 

Cette œuvre réalisée d’après la technique du souwère représente trois pêcheurs Lébous revenant de la pêche, chargés de poissons tenus dans leurs mains. La scène se situe au Sénégal, dans la presqu’île du cap Vert, terre des Lébous. Bass respecte la perspective en échelonnant les trois hommes les uns derrière les autres. L’alignement de leurs têtes forme une diagonale qui sépare l’œuvre en deux. Dans le coin supérieur droit apparaissent au loin sept oiseaux en vol. Leur présence évoque un lien avec la mer et laisse penser qu’il s’agit d’oiseaux marins se nourrissant de poissons. Les pêcheurs portent à bout de bras un ou plusieurs poissons chacun. Les épaules tombantes suggèrent que les prises sont relativement lourdes. Elles rappellent aussi la fatigue des trois hommes, la pêche étant une activité éreintante nécessitant une bonne condition physique.

 

Si ce sont les hommes qui partent pêcher en mer ce sont les femmes qui se chargeaient traditionnellement de la vente des poissons. Néanmoins, à l’heure actuelle, une fois déchargés du bateau, les poissons sont remontés sur la plage par les pêcheurs qui les vendent directement. Dans la partie inférieure, Bass a utilisé un lavis à l’encre de chine pour figurer la ligne d’horizon et la mer en arrière-plan donnant l’impression que les trois personnages se rapprochent de celui qui les regarde. Grâce à cet espace traité « au lavis », il opère comme une fusion entre la mer élément aquatique et le sable de la plage. Bass choisit de représenter le moment où les pêcheurs remontent après une longue matinée de pêche la plage avec leurs prises. Le soleil au zénith éclaire la scène et frappe le corps des personnages d’où le choix de la technique sérigraphique. L’atmosphère lumineuse particulière est rendue par le sable qui contre toute attente intervient ici pour matérialiser le ciel uniforme sur lesquels se détachent les trois hommes. La gamme des noirs et des gris de l’encre de chine permet à l’artiste d’accentuer les effets de la lumière sur le corps des personnages. Seuls les contours sont figurés. Les traits du visage ne sont pas détaillés l’ensemble donnant l’impression de trois ombres, impression renforcée par le noir profond de l’encre. Le dessin stylisé de l’artiste peut être rapproché des graffitis modernes à l’instar de ceux de Banksy.

 

La scène représentée par Bass est à la fois traditionnelle et contemporaine. Les Lebous forment une communauté qui vit dans la région du Cap-Vert depuis au moins le XVe siècle. Ils sont connus pour leur pratique de la pêche qui s’effectue au filet ou à la ligne, à bord de pirogues à voiles et plus récemment à moteur. L’œuvre illustre donc une pratique qui fait l’identité du peuple Lébou. Au-delà du fait d’être un réservoir qui garantit des ressources halieutiques pour les Lebous, la mer est pour ce peuple un lieu de rituels qui assurent leur cohésion sociale et participent à la construction de leur identité.

 

Éprouvante physiquement, la pêche s’apparente à un véritable combat. Les pêcheurs mènent une compétition avec les oiseaux dont ils partagent la même proie : les poissons mais ils doivent également prendre garde à la mer en tant que milieu potentiellement dangereux. Selon leurs croyances, la mer reflète l’humeur des génies. Les pêcheurs portent des amulettes protectrices, procèdent à des libations ou récitations de formules magiques pour s’assurer les bonnes grâces des génies, naviguer sans encombre et revenir avec une pêche fructueuse.

 

Cette idée est rendue dans l’œuvre de Bass où les pêcheurs reviennent victorieux, les mains remplies de poissons, nécessaires à leur subsistance. Ils viennent de mener une lutte acharnée pour les attraper puis les protéger des éventuels prédateurs. Le détail des oiseaux a toute son importance. Les sept oiseaux ont chacun leur figuration propre signifiant leur vivacité et voracité. La scène permet d’imaginer le combat quotidien mené par ces pêcheurs en mer.

 

L’œuvre de Bass se révèle avant tout comme un hymne au courage des pêcheurs Lebous qui ramènent à leurs familles, après une longue épreuve, de quoi manger. Malgré la sobriété des techniques mises en œuvre et l’économie des matériaux, Bass réussit à incarner par cette scène de retour de pêche toute l’identité d’un peuple.

                                                                                Alys Bruneau

 

 

Carte de la presqu'île du Cap-Vert : le pays lébou

 

Source : I. Sidibé, novembre 2012 (https://journals.openedition.org/eps/5415?lang=en)