Le Grand Maghal (2000)

 

Bassirou Sidy N’diaye dit Bass (1965-2004) ; Le Grand Maghal (2000) ; Fixé sous verre, sable, encre de Chine ; Long: 40 x 16 cm. Long (avec cadre): 53,5  x  23,5 cm ; Dakar, Sénégal ; Don de Monique Camus en 2017 ; MNHN-E-2017.12.3

 

 

Le tableau de format horizontal représente une scène de départ et/ou de retour de pèlerinage à Touba, ville qui se situe au centre du Sénégal. Chaque année des millions de Sénégalais s’y rendent pour commémorer le départ en exil en 1895 de Serigne Touba, fondateur de la confrérie musulmane des mourides. Cet évènement entraine un déplacement de population considérable et ce dans un court laps de temps. Tous les moyens de transport disponibles publics ou privés, plus ou moins confortables et couteux, sont sollicités : les bus, les Ndiaga Ndiaye ainsi que les minibus jaunes, aussi appelés « cars rapides », les voitures et même les vélos. L’artiste a lui-même effectué plusieurs fois ce pèlerinage d’où cette œuvre où il tente de restituer l’ambiance particulière de cet évènement.

 

 A droite, dans un petit bus aux trois fenêtres ouvertes sont amassés de nombreux passagers. On ne distingue pour certains que les ombres. Les traits de leurs visages sont grossièrement dessinés. Les voyageurs sont lourdement chargés comme l’atteste le toit du bus où sont attachées leurs affaires. On distingue notamment des fagots de bois ainsi qu’un vélo dont le pédalier est retourné. La ville de Touba ne possède pas d’hôtels et les voyageurs doivent loger chez leurs proches ou leur marabout. Ils emmènent donc avec eux toutes les affaires dont ils ont besoin. La surcharge des véhicules est néanmoins dangereuse, les déséquilibrant, et pouvant entrainer des accidents. On aperçoit le conducteur accoudé à la fenêtre, le regard porté dans la direction inverse de celle de son véhicule. Il semble attendre quelque chose, peut-être de nouveaux passagers. Un personnage vêtu d’une longue tunique plissée et d’une coiffe dialogue avec les passagers assis à l’intérieur du véhicule et semble vouloir leur vendre quelques marchandises (amulette, bijouterie…). Au premier, deux voyageurs sont figurés un peu en retrait du bus, un homme et un enfant. L’homme se tient debout, de face, il est appuyé sur le parapluie qu’il tient de la main gauche. Il se tient très droit avec un port de tête altier. Il est chaussé de sandales et est habillé d’une tunique plissée avec un pantalon. Il porte également un collier amulette. Le petit garçon situé à sa droite le tire par la manche et lui désigne une direction de la main qui semble être la même que le panneau planté plus haut, dont la flèche indique Touba.  Un sac est disposé entre les deux personnages, laissant penser qu’ils viennent de sortir du bus avec leurs bagages.

 

A gauche, l’artiste a figuré la vue arrière d’un car rapide. L’intérieur du véhicule est matérialisé par des aplats noirs, rendant indiscernable l’intérieur. Sur le toit du bus accessible par une échelle, sont entreposées et sécurisées de nombreuses affaires (valises, sacs, animaux domestiques et autres éléments difficiles à identifier). Cinq hommes à l’arrière s’activent pour charger encore d’autres bagages. Certains personnages vêtus de t-shirts et de pantacourts donnent l’impression de pousser le bus peut-être pour le faire démarrer. Ce type de scène est relativement courante. Le seul personnage visible dans le bus a la tête sortie par la fenêtre de la portière ouverte. Son poing est fermé et il semble indiquer une direction avec son pouce.

 

Bass a choisi un sable d’une couleur ocre pour délimiter la route et rappeler les chemins en terre battue qui mènent à Touba. Ce sable coloré permet d’orienter le regard du spectateur qui circule dans l’œuvre, faisant écho au trajet du bus. Néanmoins, une ambiguïté demeure. Les regards des personnages, l’orientation des bus et la direction du panneau font qu’il est difficile de savoir si les personnages partent ou reviennent du pèlerinage. Le tableau se situe dans l’espace et dans le temps grâce à des indications géographiques (panneau indiquant Touba) et aux habits, accessoires (casquette, parapluie) et moyens de transports (bus) qui ancrent la scène dans la réalité contemporaine.

 

D’après Monique Camus (communication orale du 5/07/2021), le style de l’œuvre s’inspirerait des dessins de l’artiste italien Edoardo di Muro qui voyageait à cette époque dans les différentes capitales africaines pour dessiner des scènes de la vie quotidienne. Cette « rencontre » explique les divergences avec les œuvres antérieures qui s’appuyaient sur des photographies.

 

L’aspect désinvolte du dessin permet de mieux suggérer l’ambiance animée et fébrile de la scène où les imprévus ne sont pas rares. Outre les pannes de véhicule qui obligent les passagers à œuvrer ensemble pour trouver une solution. Chaque voyageur est aussi acteur de ce qui se passe. Les cérémonies et les prêches auxquels assistent les passagers une fois arrivée ne sont qu’un des maillons d’une chaine d’évènements plus ou moins prévus à l’aller comme au retour dont l’œuvre de Bass nous montre un aperçu. Les trajets peuvent parfois s’avérer dangereux. Les voyageurs ne sont jamais certains de revenir indemnes de cette aventure. La notion de fatalité est constamment présente et chaque petit évènement peut être interprété comme un signe. L’accumulation débordante des bagages n’est-elle pas une manière de parer à toute éventualité ?  Les péripéties du trajet favorisent le rapprochement entre les voyageurs et les rencontres.  L’analyse des bagages accumulés où se mêlent objets personnels et animaux domestiques (volaille, chèvre…) ajoutés à la présence du marchand représenté au pied du bus vise également à rappeler toute l’économie qui découle de cet évènement qui brasse une population considérable. Au-delà du caractère anecdotique de la scène, Bass dépeint en réalité toute une étape décisive dans la vie de ces pèlerins de passage.

 

 

 

Edoardo Di Muro est un dessinateur italien né en 1944. Marin, il découvre l’Afrique par hasard en 1973 en débarquant à Lagos au Nigéria. Il se prend alors de passion pour ce continent qu’il envisage d’explorer.  Il parcourt de nombreux pays dont l'Angola, l'Afrique du Sud, le Sénégal, la Guinée, le Gabon, le Benin, le Togo, le Nigéria, l'Ethiopie, le Burkina Faso (Haute Volta à l’époque), la Tanzanie, le Cameroun. Contemporain de Bass, il a peut-être fait sa rencontre lors de son passage sur l’île de Gorée, où il produit des batiks, des étoffes traditionnelles. S’attachant à représenter des scènes du quotidien, ses dessins ont charmé Bass qui produit des œuvres dans la même mouvance. Aujourd’hui Edordo di Muro se consacre à la bande-dessinée où il représente les cultures africaines et les problématiques actuelles qui leur sont liées.

                                                                              Alys Bruneau