Femme qui allaite (2000)

 

Bassirou Sidy N’diaye dit Bass (1965-2004) ;  Femme qui allaite (2000) ; Fixé sous verre, sable, encre de Chine ;  Long totale: 38,5 cm larg: 28,5 cm ; Dakar, Sénégal ; Don de Monique Camus en 2017 ; MNHN-E-2017.12.1

 

Dans un cadrage à mi-corps, Bass représente une femme en train d’allaiter. Les cheveux nattés sur le crâne, la parure (le bracelet à la main gauche, le collier à 3 rangs de perles rondes, et les boucles d’oreilles en anneaux) ainsi que la posture permettent aisément d’identifier une femme africaine. Le haut de son corps est totalement dévêtu, laissant visible la poitrine. La partie inférieure du corps de la jeune femme est couvert par un tissu drapé qui se confond avec celui enveloppant le corps du nourrisson. Les deux personnages sur fond de buisson d’herbes dont la finesse a été obtenue grâce à une technique utilisant une lame de rasoir. C’est par l’adaptation d’une technique traditionnelle sénégalaise, le fixé sous verre, que les œuvres Bass se singularisent. Aux souwères le plus souvent colorés et porteurs d’une iconographie religieuse, Bass préfère une représentation sobre en noir et blanc, à l’encre de chine à laquelle il associe du sable. Ce matériau inhabituel produit un rendu granuleux, presque pointilliste par endroit et apporte une dimension tactile à l’œuvre. Certaines parties du corps de la jeune femme sont rendues par des aplats d’encre de Chine, conférant davantage de douceur à l’œuvre. Afin de fixer l’ensemble, Bass applique une technique de collage qu’il maitrise parfaitement, utilisant une colle constituée de sève de baobab et de gomme arabique dont il gardait jalousement le secret. L’association de l’encre de chine et du sable permet à l’artiste de travailler les jeux de lumière qu’il affectionne particulièrement. L’encre de chine restitue les ombres et effets de lumière sur la peau noire de ses personnages. Elle répond également à la polychromie du sable collecté au large des plages de Gorée dont les grains se dissocient en plusieurs couleurs beige, noir, blanc, rose.

 

Ce matériau utilisé par l’artiste n’est pas vide de sens puisqu’il se présente comme le témoin silencieux mais permanent de l’histoire tragique de cette île, lieu symbolique de la traite négrière pendant un peu plus de trois siècles. Bass trouve donc avec le sable, un matériau parfait pour engager une réflexion sur la transmission et le passage des générations. Comme beaucoup d’individus dont les lignées familiales ont été affectées par la traite négrière, Bass porte en lui les traumatismes profonds de ce système d’oppression et d’exploitation de la population. Cette œuvre fait écho à la souffrance de l’artiste ainsi que celle de toutes les familles dont les ancêtres en ont été victimes. Le sable se fait le support d’une mémoire collective.

 

Dans la mesure où la réalisation d’un souwère nécessite toujours un modèle de départ, l’imagination est à priori moins stimulée. Le réalisme de l’œuvre et le cadrage à mi-corps peuvent laisser penser qu’une photographie a servi de point de départ à l’œuvre. Le sujet représenté célèbre la maternité, thème fréquent dans l’histoire de l’art. Dans cette œuvre, la scène d’intimité entre une femme et son enfant est comme située en dehors du temps. Le contraste des textures entre le sable et l’encre de chine contribue à renforcer cette dimension d’atemporalité. De cette scène universelle émane une certaine émotion, positive et attendrissante. Le mariage du sable et de l’encre de chine permet à Bass de magnifier son modèle et d’opérer une sacralisation de la femme.

 

                                                                               Alys Bruneau